7 juin 2008, date fatidique et butoir s'il en était. Dès le début
de l'aventure ou en tout cas dès qu'ils avaient eu connaissance de la
venue à Merville de deux anciens pilotes de l'avion, les membres du Team
Snafu avaient fixé ce jour pour la présentation aux officiels
et au public du "SNAFU Special". Seulement six mois s'étaient
écoulés depuis son retour de Normandie, mais la bonne centaine
de bénévoles de tous âges et de toutes compétences
avait relevé ce véritable défi achevant sur le fil la restauration
au terme de 5.000 heures de travail acharné.
Le grand jour était arrivé et dès le début de l'après-midi,
sous un soleil radieux, le public commença à affluer sur le site
de la batterie de Merville. Protégé des regards par un immense
parachute kaki qui se gonflait comme une montgolfière au souffle du vent,
le vieil avion attendait son heure pour apparaître enfin en pleine lumière.
A 14 heures 30 le ballet des voitures officielles et des cortèges précédés
de motards commençait. La cérémonie, présidée
par le Préfet de région qui représentait le ministre
de la Défense, comptait nombre d'hôtes de marque : son Excellence
Zeljko Komsic, Président de Bosnie Herzégovine, son Excellence
Craig Stapleton, ambassadeur des Etats-Unis à Paris, l'ambassadeur
de Bosnie-Herzégovine en France, l'ambassadeur de France en Bosnie,
les attachés militaires des ambassades de Grande Bretagne et d'Allemagne,
l'amiral Brac de la Perrière, Président du Comité du
Débarquement, le Général Dal'Aglia de l'armée
de l'air, le Général Schneider commandant de la gendarmerie
en Basse-Normandie ainsi que de très nombreux officiers supérieurs.
De mémoire de Mervillais, on n'avait jamais vu autant de têtes
galonnées sur la commune. Juste devant la tribune se tenaient les valeureux
vétérans Britanniques du 9ème Bataillon, ceux là
mêmes qui, 64 ans plus tôt, avaient neutralisé au prix
de très lourdes pertes la redoutable batterie de Merville.
Au
premier rang enfin, affectueusement encadrés par l'équipe du
SNAFU en combinaison rouge, deux hommes âgés qui avaient traversé
l'atlantique pour être également présents : Eugene M.
Noble et Henry D. Moreland qui, comme en témoignaient les "war
diaries" de l'époque, avaient piloté ce Douglas 43-15073
à plusieurs reprises au cours de l'année 1945. Juste derrière
se tenaient Barbara Smaltz, épouse de Donald M. Smaltz, co-pilote du
Snafu Special lors de l'opération Market-Garden, Sally, Christie et
Suzie Harper, filles de James P. Harper, pilote aux commandes du Snafu Special
lorsqu'il survola la Normandie le 6 juin 1944 et Chris Buckner, fils de Joseph
R. Buckner, radio-opérateur à bord de l'appareil durant toute
la seconde guerre mondiale.
Trois détachements de soldats Français, le 18ème régiment
de transmission d'une part, les militaires de la base aérienne d'Evreux
d'autre part et l'excellente musique de la Brigade légère blindée
de la Marine donnaient à la cérémonie un faste impressionnant.
Devant un public de près de 4.000 personnes, lentement, très
lentement, le parachute recouvrant l'appareil glissait au sol, dévoilant
mètre après mètre le "Snafu Special" dans les
couleurs qui étaient les siennes à l'aube du 6 juin 1944. Le
Colonel Merle Hart, officier commandant aujourd'hui le 440th Airlift Wing,
unité à laquelle appartenait l'avion en 1944, s'approchait alors
pour réintégrer officiellement l'avion dans ses effectifs. Les
hymnes nationaux des U.S.A. de Grande-Bretagne, de Bosnie-Herzégovine
et de France montaient alors vers le ciel devant une assistance recueillie.
Dans les minutes qui allaient suivre, l'émotion peu à peu allait
envahir tous les participants. En effet, Chris Buckner, le fils de l'opérateur
radio de l'avion, était tout d'abord invité à quitter
la tribune pour se rapprocher du SNAFU Special. En anglais puis en français,
Béatrice lui rappelait ce qu'il avait dit à la presse le jour
du départ de l'équipe pour la Bosnie : "quand je viendrai
à Merville, je poserai mes mains sur le fuselage et ce sera comme si
je touchais une partie de la vie de mon père". Pour Chris, le
moment était venu. Au son des cornemuses du Auld Alliance Pipe Band
jouant "Amazing grace", Chris en larmes s'approchait du fuselage,
plaquait ses deux mains tout près de l'étoile américaine,
et la voix brisée par l'émotion adressait à son père
des mots forts d'amour filial et de respect. Suivant la scène sur l'écran
géant, la foule silencieuse et recueillie partageait l'émotion
de l'instant, nombre de mouchoirs cherchant à endiguer le flot des
larmes. Sur les mesures de l'ode à la joie, la porte cargo était
ouverte, un escalier recouvert d'un tapis rouge mis en place pour permettre
à Eugene Noble et Henry Moreland de monter à l'intérieur
de l'avion, et de s'asseoir dans le cockpit à la place qu'ils occupaient
64 ans plus tôt. Leur salut à l'étroite fenêtre
déclenchait des salves d'applaudissements, la foule étant partagée
entre les vivats et les larmes. Quelques instants plus tard les trois filles
du pilote du D-Day, James Harper, s'installaient l'une après l'autre
sur le siège de leur père. Enfin les vétérans
Britanniques du 9ème Bataillon, chaleureusement applaudis par une foule
en liesse, prenaient à la porte de l'avion la posture qu'ils avaient
le 6 juin 1944 au moment du largage sur la batterie de Merville depuis d'autres
dakotas semblable à celui ci.
Au
même instant, à la verticale de la batterie, un autre Douglas
C-47, le "Drag Em Oot", également vétéran du 6 juin, larguait ses
parachutistes sur la campagne environnante.
La soirée s'achevait par un feu d'artifice, rappelant par certains
effets les tirs de la flak et les balles traçantes avant d'embraser
le SNAFU Special dans un bouquet final tout d'argent et de bleu.
Peu à peu, la foule se retirait. Seuls restaient les hommes en rouge
du SNAFU, les restaurateurs en polo bleu qui, jusque tard dans la nuit, face
à "leur" avion, tout en ressassant les souvenirs refaisaient
le monde. Au petit matin, perclus de fatigue et d'émotion, ils finissaient
par quitter à regret la batterie de Merville non sans avoir jeté
un dernier regard amoureux au vieil avion tourné vers l'océan.
Pour le Dakota matricule 43-15073, après 64 années ponctuées
de destins divers, après avoir frôlé à plusieurs
reprises la destruction, après des milliers d'heures de vol, après
avoir changé 4 fois de nationalité, commençait en cet
instant le temps d'une retraite dans la dignité, une retraite à
la mesure de son passé glorieux.
Situation Normal, Aircraft Freed Up
(Situation normale : avion libéré)