
"C'était
en 1996 lorsque nous sommes arrivés sur Sarajevo pour créer le détachement
hélicoptères Français que j'ai pu voir, avec étonnement,
ce Dakota sur le parking de l'ancienne école d'aéromécanique
Yougoslave à Rajlovac. Les combats y avaient cessé depuis quelques
heures, les serbes ayant évacués cette zone depuis peu. Plus loin
les affrontements dartillerie continuaient , notamment sur laéroport
de Sarajevo, ce qui nous interdisait de nous y installer. Le site de Rajlovac
offrait en revanche un hangar en état et un parking réduit mais
également en bon état. Le Dakota était devant le grand hangar
vu de l'intérieur sur la photo, les pneus étaient crevés
et il y avait des impacts d'armes légères de 7,56 kalachnikov sur
la cellule. Après les premières mesures de sécurité
effectuées sur ce site où nous allions stationner jusqu'en 2005,
j'ai pu monter rapidement à bord de cet appareil et constater qu'il était
pratiquement complet. Le parking était complètement encombré
de nombreux débris de toutes sortes ainsi que d'avions MIG 17 et 21 qui
devaient précédemment servir à lécole daéromécanique.
Les MIG ont été grossièrement poussés avec un engin
et j'ai pris la décision de garder le DAKOTA pour nous en faire un super
Bar popote pour le détachement des BUFFALO (nom de baptême du détachement
des PUMA Français).
A cette époque bien sûr nous avions
pas mal d'occupations comme on peut l'imaginer, beaucoup de vols notamment de
nuit vers les postes de la coalition occidentale ainsi que l'évacuation
sanitaire 24h/24 pour cette partie Nord de la Bosnie. Nous étions loin,
bien sur, d'imaginer que nous étions physiquement en possession d'un appareil
véritablement mythique. Suite à l'impossibilité de trouver
la plaque d'identification constructeur de l'appareil, nous avions été
informés par diverses sources que celui-ci aurait été un
IU 2, réplique du Dakota construit sous licence par l'union soviétique
Cependant
il possédait bien ses deux moteurs Pratt & Whitney ce qui prônait
plutôt pour la thèse dun authentique Dakota. Nous en étions
restés à ce stade n'ayant pas beaucoup de moyens d'investigations
sur place et le rythme des rotations d'alerte des équipages étant
important. Ne trouvant donc toujours rien sur l'appareil sauf bien sûr pas
mal d'identification d'origine US, j'ai tenté au gré de mes passages
successifs en tant que chef du détachement d'obtenir des informations fiables
sur cet aéronef. Ce fut en vain ! Quelques mois après, une société
civile organisa le nettoyage par découpe et enlèvement des objets,
débris et carcasses, ainsi que le déminage par une unité
militaire du génie allemand."

"Tout
fut passé au crible et déposé dans des bennes à ferraille
ainsi que les avions MIG et tout ce qui pouvait demeurer comme accessoires et
autres moteurs pratiquement neufs dans les salles de l'école. En particulier,
5 ou 6 moteurs Américains, 6 cylindres Continental ont également
pris la destination de ces bennes ! A mon grand désarroi, trains, moteurs,
avionique, etc
Tout fut mis à la ferraille et l'école fût
complètement nettoyée ainsi que le parking et les parties herbeuses
déminées. Mais le Dakota n'est pas parti à la benne. Bien
sûr son poids d'aluminium faisait briller les yeux du chef de chantier Bosniaque
qui fit plusieurs tentatives, toutes avortées puisque nous avons insisté
fermement pour le garder. Il fut d'ailleurs ensuite mis en compte symboliquement
au détachement ALAT de Rajlovac pour officialiser sa position administrative
! C'est terrible, l'administration du commissariat veut que tout, absolument tout
soit en compte ! Sans doute en agissant ainsi, avons nous sans le savoir, sauvé
cette machine dont absolument personne n'imaginait à l'époque l'importance
historique qu'elle pouvait revêtir
incroyable ! Le vieux Dakota devint
donc en plein conflit, le bar le plus célèbre de Sarajevo puisque,
pour l'anecdote, ses horaires de fermeture n'existaient pas. Il faut savoir que
la gestion des points d'eau (appellation militaire du bar) sont drastiquement
réglementés en opérations par l'autorité militaire
dès lors que l'implantation de celui-ci est fixe. Pour nous, les équipages
d'hélicoptère, le Bar était sur le parking aérien
là ou personne ne pouvait se rendre sans y avoir été préalablement
autorisé par l'équipage! Génial! Donc peu de prise de l'autorité
sur ce lieu de convivialité qui, de fait, a toujours échappé
aux heures réglementaires de fermeture. Je vous passe les détails
des remarques et autres convocations du chef de détachement le lendemain
lors de soirées un peu agitées !! Je peux vous dire que des autorités
civiles ou militaires de passage à Sarajevo demandaient souvent à
l'escale de l'aéroport s'ils pouvaient se rendre au Dakota Club (il y avait
même des cartes de membres). Il était très connu en ex-Yougoslavie
et plus encore des états major Parisiens
L'hiver il était
chauffé, l'été climatisé, le rêve en somme pour
prendre un pot. A l'époque le klaxon du signal de largage des paras encore
en place était en fonction et servait notamment à signaler l'ouverture
du Bar car nous pouvions entendre facilement du bâtiment. Il nous était
aussi parfois demandé de le louer pour une soirée notamment aux
Anglais de passage ou aux autres unités en transit qui, elles aussi, avaient
eu des échos de ce fameux Dakota Club
Le logo peint sur la cellule
l'a été par un Adjudant chef pilote reprenant un Nose art de l'époque
héroïque.
Voilà très précisément l'histoire
de C-47 entre le déclenchement du conflit des Balkans jusqu'à nos
jours. Un grand avion qui est passé plusieurs fois entre les balles et
les conflits. Il a également vu le passage de l'équipe de tournage
du film « Si je toublie Sarajevo » avec Bernard GIREAUDEAU Mathilde
SEIGNER. Jy j'apparais d'ailleurs environ 5 secondes (c'est peu) aux commandes
d'un super PUMA sur le parking. C'est à cette occasion d'ailleurs que les
inscriptions MAY BE AIRLINE ont été fabriquées et apposées
sur le Dakota.
Enfin, pour clore cette histoire, je connais quelques personnes
de l'aéroport de CAEN et notamment le mécanicien qui va le réceptionner
pour le restaurer. Ce qui est sûr, c'est que j'irai le voir sur son lieu
d'exposition à Merville et que je verserai certainement une larme à
lévocation de ces souvenirs, certes beaucoup moins historiques que
les anciens peut-être encore vivants ayant sauté de cette carlingue,
mais une larme quand même m'y voyant encore lorsque, de retour d'une évacuation
sanitaire au milieu de la nuit, nous la finissions au Dakota Club."

Laurent
sur la base de Rajlovac et en vol au-dessus de "Sniper Allée".